Journal de bord #11

Départ de la 3e étape de l’Ocean Globe Race à Auckland, Nouvelle-Zélande !


Message de Marie

« « IL Y A LES VIVANTS, LES MORTS, ET CEUX QUI VONT SUR L’EAU. »

Décidément, j’aime de plus en plus cette phrase. Je dois probablement en avoir une interprétation différente de celle de son auteur, mais d’année en année, ou de mille en mille, elle m’offre une réflexion différente.

Nous sommes en mer, à revivre enfin nos vies de marin. Nous sommes à nouveau vivants, dans des repères que nous connaissons, jouant avec des contraintes que nous avons choisies, en un mot, libres. Pour le reste du monde, nous ne sommes plus qu’un petit point sur une carte, nos ami(e)s, nos familles ne pouvant communiquer avec nous. Quelques instants avant notre départ d’Auckland, j’apprends de la direction de course que je peux à nouveau communiquer, envoyer des photos, de la vidéo, et surtout du texte. C’était inespéré, et nous avons accueilli cette nouvelle avec joie. Faire un tour du monde sans pouvoir le partager d’aucune façon que ce soit, je me sentais muselée, bâillonnée, cela avait sérieusement attaqué ma créativité sur cette deuxième étape. Pour nos proches, cela ne change pas grand chose, même s’ils sont heureux et rassurés de recevoir de nos nouvelles.

Ils ont appris à vivre sans nous, et ça, nous le ressentons fort quand nous sommes en escale. D’une part, pour nous, il est difficile d’appeler : ce qui nous intéresse est d’avoir de leur nouvelles, seulement eux veulent tout savoir de notre voyage, estimant à tord notre vie plus intéressante que la leur. Nous nous retrouvons donc à devoir raconter à chacun la même histoire, en galérant pour trouver des mots suffisamment précis afin que notre auditeur ressente un dixième de ce que nous avons vécu. On dit souvent que les marins ne sont pas bavards mais qu’il est difficile de raconter les endroits que nous visitons, ces endroits où nous ne sommes autorisés à n’y rester qu’un court instant, à passer seulement. Raconter notre aventure humaine, que ce soit au sein d’un équipage ou en nous-même, relève de l’intime, et par pudeur, peut-être là encore difficile à témoigner. En fait, le marin est peut-être taiseux simplement parce qu’il n’a pas les mots, pas par manque d’envie.

Une fois en escale, notre entourage ne sait jamais quand nous appeler, entre le décalage horaire, la peur de déranger, comment ils imaginent ou fantasment nos vies à l’autre bout du monde…
Et puis ils sont pris dans le tourbillon de leur vie, on sait tous ce que c’est, de vouloir appeler, louper le créneau, se dire que demain sans faute et puis le lendemain… À la fin on s’en veut, pourtant nous ne sommes que des humains.

Nous revoilà donc en mer, vivant pour nous, un peu morts pour le reste du monde. Nous avons laissé cette magnifique Nouvelle Zélande derrière nous pour nous diriger vers l’Amérique du Sud. Une escale d’un mois à Auckland, peut-être un peu longue alors que nous ne sommes restés que deux semaines à Cape Town, trop court. Au bout d’un moment, j’avais vraiment envie de repartir, non pas à cause des Maoris, mais d’une part car je veux en découdre sur cette 3eme manche (compétition, quand tu nous tiens) et aussi car nous n’avons pas nos repères sur cette grande île. Nous avons alterné les périodes de travail sur le bateau et de repos, changé trois fois d’appartements, n’étant jamais chez nous.
À bord du VI, nous sommes chez nous.
Nous avons une approche différente du luxe. Un lit qui ne bouge pas, pouvoir dormir avec les deux épaules à la même hauteur : du luxe. Se brosser les dents à l’eau tiède, se laver le visage à l’eau chaude : luxe. Pouvoir se balader seul(e) chez soi, habillé(e) ou non, choisir ses repas : luxe. Une douche…. Luxe ultime !!! Nous sommes capables de vivre des vies de sanglier, mais apprécions le confort de la Terre. Et justement, je n’ai pas envie de trop m’y habituer. Nous avons sillonné la Nouvelle-Zélande, rencontré plein de belles personnes, ramené pas mal de souvenirs, mais il est temps de partir.

Notre grande caravane autour du monde nous avait manqué, alors que nous avons passé une grande partie de nos vacances ensemble. Une partie de l’équipage de Pen-Duick VI est partie en road trip avec Translated 9, Triana, Neptune, and co, partageant les frais des road trips, les bons plans camping, et les idées détente (Surf Session à Raglan, who’s in?). Là, chacun est de retour « chez lui », à sa place, et tous ensemble, nous reprenons nos habitudes sur ce tour du monde.

Cela fait 48 heures maintenant que nous sommes en course, nous avons rebasculé en heure TU et remonté le temps de quelques heures, le rythme des quatre vacations BLU quotidiennes reprend son cours. Les premières vacations sont toujours importantes, de façon à être sûrs que tous les bateaux vont bien, que les bonshommes s’amarinent correctement, et que la communication entre nous déroule. Nous serons nos propres St Bernard dans peu de temps, nous comptons les uns sur les autres en cas de problème… Et puis forcément depuis le temps, des amitiés solides se sont installées.

À bord de Pen-Duick VI, pour la grande majorité des Volon’Terre, il était convenu qu’ils puissent faire 2 manches à bord. Auckland était donc l’heure du débarquement pour Simon. La mort dans l’âme pour lui, comme pour nous. Si quelqu’un avait un empêchement, il pouvait rembarquer, mais tout l’équipage est présent. Alors c’est à bord de Triana que Simon a réussi à trouver une place, avec le bon Seb Audigane. Si tout va bien, nous nous reverrons donc à Punta, et Simon sera lui aussi Cap-hornier. À bord du VI en moins de deux ans, il aura été en Ecosse, en Irlande, aux Caraïbes, aux Bermudes, aux Açores, puis il aura pris le départ de l’Ocean Globe Race en Angleterre pour Cape Town, et enfin Auckland… Le VI aura rempli sa mission auprès de lui.
Il y a les vivants, les morts et ceux qui vont sur l’eau. Nous n’avons jamais été aussi vivants, mesurant la chance qui nous est offerte d’être sur l’eau. Merci.

Marie »

Suivez Marie et l’équipage du Pen Duick VI sur la carto : https://oceangloberace.com/fr/livetracker/